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BRUXELLES — Donald Trump avait un avertissement simple pour l’Europe : achetez plus de gaz américain ou je vous frapperai avec des droits de douane. Super, a répondu l’Europe. Discutons-en.
Puis Trump a quand même imposé des droits de douane.
En réalité, les négociations n’ont jamais vraiment démarré. Selon quatre responsables et diplomates de l’UE au fait de la situation, les négociateurs étaient régulièrement perdus et frustrés, alors qu’ils tentaient d’accepter l’offre du président américain sur l’énergie, se heurtant souvent au mur de la bureaucratie et au désintérêt de Washington.
Le locataire de la Maison-Blanche devrait imposer des barrières commerciales généralisées mercredi, et a même donné un nom à cette journée : le Liberation Day (“jour de libération”). C’est un moment que l’Europe avait espéré éviter, en prenant les devants avec des propositions qui devaient convenir à Trump et empêcher un maelstrom économique.
En haut de la liste figurait l’achat de gaz naturel liquéfié (GNL) américain. C’est la première chose qu’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a suggérée après l’élection de Trump.
L’offre semblait logique. Depuis que la Russie a fait entrer ses chars en Ukraine en 2022, l’UE a acheté de plus en plus de GNL américain, triplant presque ses importations afin de les substituer à l’énergie de Moscou. La consommation mensuelle a même atteint un niveau record le mois dernier, après l’entrée en fonction du président républicain.
L’Europe fait ce que Trump voulait : acheter plus de GNL américain. Les responsables espéraient que cela permettrait de l’adoucir et d’échapper aux droits de douane. Après tout, au cours du premier mandat du milliardaire, l’Europe avait apaisé les hostilités commerciales en s’engageant à acheter davantage de soja et de GNL.
Mais cette fois, les choses sont différentes. Un Trump plus débridé est parti en croisade pour remodeler l’ordre économique — pour l’instant, en tout cas.
La grande leçon est que céder aux demandes de Trump ne fonctionne tout simplement pas.
Ohé y’a quelqu’un ?
Dans les semaines qui ont suivi l’élection de Trump, l’UE a proposé d’entamer des discussions sur les achats d’énergie, et von der Leyen a réuni une équipe pour régler les questions logistiques.
“La priorité est d’avoir une conversation, de l’engager rapidement, de discuter des intérêts communs et d’être ensuite prêt à négocier”, a déclaré un porte-parole de la Commission européenne le lendemain de la prestation de serment du président des Etats-Unis.
Le GNL américain a également été au cœur des préoccupations du prédécesseur de von der Leyen, Jean-Claude Juncker. En 2018, le président de la Commission a convaincu Trump de suspendre les droits de douane prévus en lui promettant, entre autres, d’augmenter les achats de GNL américain et de construire davantage de terminaux pour en importer.

Après sa seconde élection, Trump a déclaré que l’Europe devait aller encore plus loin.
L’UE, a-t-il considéré en décembre, doit “combler son énorme déficit avec les Etats-Unis par l’achat à grande échelle de notre pétrole et de notre gaz. Sinon, ce sont les droits de douane à fond.” (Européens et Américains ont en fait des relations commerciales relativement équilibrées si l’on tient compte à la fois des biens et des services.)
Toutefois, les diplomates, dont l’anonymat a été préservé pour échanger sur les discussions en coulisses, disent leur difficulté à trouver une solution face aux changements de personnel et aux rapports de force mouvants à Washington.
“Nous essayons d’identifier les personnes clés au sein de l’administration américaine ; on a besoin de savoir qui peut réellement agir — certains […] peuvent ne pas être ce que leur titre indique”, relate l’un de ces envoyés européens qui se sont rendus à Washington en mars. Il se plaint que des rôles clés à la Maison-Blanche et au département d’Etat chargés des relations avec l’Europe n’avaient toujours pas été pourvus plusieurs semaines après l’investiture.
Pour compliquer encore les choses, le diplomate pointe que l’administration Trump préfère communiquer directement avec les gouvernements nationaux en Europe, même si Bruxelles joue un rôle central dans la politique commerciale de ses 27 membres.
“Trump considère l’UE comme la seule chose qui l’empêche de plier chaque pays à sa volonté”, expose le diplomate. “Le principal lien pour nous a donc été les capitales nationales. La France, l’Allemagne, l’Italie — elles ont de très bonnes relations et ce sont ces canaux que nous avons été obligés d’utiliser.”
Deux représentants de pays de l’UE racontent avoir exprimé à Washington leur volonté d’acheter davantage de GNL américain, mais que les Etats-Unis n’avaient pas donné d’éclaircissements sur comment se passerait l’accord ou sur ce que l’Europe obtiendrait en retour.
Dépendance aux énergies fossiles
Outre les obstacles diplomatiques à l’étranger, il y a aussi des enjeux internes. De nombreux pays de l’UE sont déjà fortement dépendants du gaz américain, et l’augmentation des importations constituerait une difficulté supplémentaire.
“Il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire de plus”, a déclaré le vice-chancelier allemand sortant Robert Habeck en janvier, notant que 90% du GNL de son pays provenait déjà des Etats-Unis.
Certains pays soucieux des enjeux climatiques ont averti Bruxelles que tout accord sur les énergies fossiles avec Washington ne ferait que nuire aux efforts de l’UE pour sauver la planète.
Les pays de l’UE devraient “se concentrer sur le fait de se débarrasser des fossiles et non de trouver de nouveaux marchés où les acheter”, a estimé le ministre finlandais de l’Energie et de l’Environnement, Kai Mykkänen, auprès de POLITICO en janvier.

Pourtant, la Commission a poursuivi son action. En février, l’exécutif européen a publié un plan visant à réduire les prix élevés de l’énergie qui pèsent sur les entreprises locales. Cette stratégie comprenait une offre de soutien à des contrats à plus long terme avec les exportateurs américains de GNL — évoquant même la possibilité de soutenir indirectement les investissements dans les infrastructures gazières américaines afin d’obtenir un meilleur accès.
Cette décision a suscité la colère des groupes écologistes, qui ont fait valoir que de telles mesures auraient pour effet de lier l’Union aux énergies fossiles pendant des décennies, et d’entraver la transition prévue vers les énergies renouvelables.
La réalité
Au-delà des discussions improductives à haut niveau, les forces du marché poussent déjà l’UE et les Etats-Unis à se rapprocher dans le domaine de l’énergie.
“L’Europe achètera probablement plus de GNL aux Etats-Unis cette année, non pas pour des raisons géopolitiques, mais parce que le continent a besoin de reconstituer ses stocks avant l’hiver prochain et parce que l’offre de GNL américain va augmenter cette année”, souligne Laura Page, responsable de l’analyse de données sur le gaz de Kpler, spécialiste des données sur les matières premières.
Selon les derniers chiffres de la société, l’UE est confrontée à un déficit d’approvisionnement en gaz et terminera l’hiver avec des réservoirs remplis au tiers seulement. Cela s’explique par “un hiver froid et sans vent, couplé à un choc d’approvisionnement venant de la Russie au début de l’année”, du fait de l’expiration d’un important accord de transit qui permettait à Moscou d’acheminer du gaz vers l’Europe via l’Ukraine.
Washington se trouve donc dans une position privilégiée pour tirer profit de cette situation. Les nouvelles usines de GNL de Plaquemines en Louisiane et de Corpus Christi au Texas, achevées sous l’administration précédente, ont également permis de garantir une capacité suffisante pour répondre à la demande.
Les données de Kpler montrent que les importations de gaz américain en Europe ont fortement augmenté ces dernières années, atteignant un record de 5,59 millions de tonnes en mars de cette année.
“La question est de savoir dans quelle mesure nous pouvons prendre au sérieux les projets de droits de douane de Trump”, soulève Ajay Parmar, analyste chez ICIS, une autre société spécialisée dans les données sur les matières premières. “Comme pour tout, ces mesures peuvent toujours être considérées comme le véritable début des négociations, et non comme la fin.”
Mais pour l’instant, du moins, Trump ne semble pas vouloir écouter grand-chose sur l’énergie, laissant l’Europe confrontée à des bouleversements économiques et se demandant ce qui pourrait fonctionner — si tant est qu’une telle chose existe.
Hanne Cokelaere a contribué à cet article.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.