Pour la première fois, un sommet européen pour enrayer la montée de l’extrême droite

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BRUXELLES ― Les dirigeants européens se livrent au combat de leur vie. Pour la première fois, le sommet qu’ils organisent cette semaine se concentrera sur des sujets visant à reprendre du terrain à l’extrême droite.

Les responsables politiques issus des partis traditionnels, qu’ils soient de centre droit, de centre gauche ou libéraux, sont au pouvoir en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, mais ils voient leur hégémonie s’estomper. Ils espèrent que le Conseil européen de jeudi — qui réunit les 27 chefs d’Etat et de gouvernement — montrera que l’UE se préoccupe des sujets qui ont créé du mécontentement chez les électeurs. Dans les plus grandes capitales de l’Union, de Paris à Rome, en passant par Amsterdam et Berlin, les forces nationalistes, voire prorusses, sont soit déjà au pouvoir, soit aux portes du pouvoir, car elles se sont montrées capables d’exploiter la colère.

“Défendre le projet européen aujourd’hui signifie plus qu’investir dans nos armées, cela signifie aussi tenir la promesse sociale qui unit l’Europe”, a plaidé Hannah Neumann, eurodéputée Verte membre de la commission de la Sécurité et de la Défense du Parlement. “L’une des principales tactiques de Poutine est de diviser nos sociétés.”

L’ordre du jour du sommet est dominé par des thèmes que les dirigeants associent à un défi fondamental : empêcher un scénario dans lequel quatre ou cinq dirigeants d’extrême droite, qui pourraient rejeter l’existence même de l’UE, siègeraient au Conseil européen dans quelques années. Ce scénario soulèverait d’énormes questions sur la puissance militaire de l’Occident et sur l’avenir de l’Union elle-même.

Une version provisoire des conclusions du sommet, vue par POLITICO, sur laquelle les diplomates des Etats membres travaillent avant de la soumettre à leurs dirigeants, reflète cette inquiétude sous-jacente. Les chefs d’Etat et de gouvernement discuteront du logement, de la défense, de la compétitivité, des transitions verte et numérique, et de l’immigration, autant de questions que les responsables gouvernementaux européens considèrent comme essentielles pour contenir l’extrême droite.

La réunion qui se tiendra à Bruxelles cette semaine est “un Conseil européen qui cherche une nouvelle identité pour l’UE”, expose un diplomate européen qui participe aux préparatifs et s’exprime anonymement pour parler de délibérations confidentielles. “C’est une recherche très difficile, avec un processus interne très difficile, pour trouver des réponses aux questions que l’UE n’a pas réussi à appréhender jusqu’à présent.”

Une crise sociale

En particulier, mettre le logement à l’ordre du jour aurait semblé impensable il y a encore quelques années. Mais son coût influence aujourd’hui la politique dans l’ensemble de l’Union, et il a permis à l’extrême droite de remporter d’importantes victoires.

Aux Pays-Bas, Geert Wilders et sa formation d’extrême droite, le Parti pour la liberté, ont remporté les législatives de 2023 en faisant campagne sur la pénurie de logements qui, selon lui, est exacerbée par les migrants et les demandeurs d’asile. Au Portugal, Chega est devenu le premier parti d’opposition du pays cette année en dénonçant l’incapacité des partis de l’establishment à lutter contre la flambée des prix de l’immobilier.

Le Conseil européen s’intéresse tardivement à la question. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a décrit la pénurie de logements comme une crise sociale depuis plus d’un an et a consacré un portefeuille pour cette thématique au sein du collège des commissaires ― occupé par le Danois Dan Jørgensen, qui présentera le tout premier plan pour le logement abordable de l’Union européenne en décembre et s’est engagé à lutter contre les locations de courte durée en 2026. Le Parlement européen a créé une commission spéciale sur la crise en début d’année.

Le président du Conseil européen, António Costa, affirme depuis longtemps que la crise du logement est un défi aussi urgent que l’invasion de l’Ukraine par la Russie. “La seule manière de renforcer la confiance des citoyens dans le projet européen est de montrer que nous avons la capacité de nous occuper du logement et des problèmes concrets qui les affectent personnellement”, a-t-il défendu dans les colonnes de POLITICO l’année dernière.

Jusqu’à présent, les prix du logement et les loyers n’étaient pas considérés comme un sujet sur lequel l’UE pouvait agir. Alors que la crise du logement est un problème qui touche l’ensemble de l’Union, il n’y a pas de consensus sur la manière d’y remédier. Les dirigeants nationaux sont divisés sur des lignes politiques différentes et risquent d’être à couteaux tirés lorsqu’il s’agira de s’attaquer à la spéculation immobilière, aux locations de courte durée ou à l’expansion des programmes de logements sociaux.

Mettre le logement à l’ordre du jour aurait semblé impensable il y a encore quelques années. Mais son coût influence aujourd’hui la politique dans l’ensemble de l’Union, et il a permis à l’extrême droite de remporter d’importantes victoires. | Koen Van Weel/ANP/AFP via Getty Images

Les divisions sont évidentes dans la version provisoire des conclusions du sommet, où les dirigeants considèrent la crise comme “urgente”, mais se contentent de demander à ce que la Commission présente son plan comme prévu.

En pleine ascension

La progression des populistes est déjà bien réelle. Le Hongrois Viktor Orbán et le Slovaque Robert Fico siègent au Conseil européen, rendant parfois difficile, voire impossible, la prise de décisions à l’unanimité, pourtant souvent nécessaire. La République tchèque pourrait bientôt rejoindre leur camp : le populiste de droite Andrej Babiš ayant remporté les élections au début du mois. En Slovénie, le parti ultraconservateur de l’ancien Premier ministre Janez Janša est en tête des sondages, selon le Poll of Polls de POLITICO.

Dans les deux pays les plus grands et les plus puissants de l’UE, la France et l’Allemagne, l’extrême droite est également en pleine ascension. Jordan Bardella, du Rassemblement national, est régulièrement en tête des intentions de vote pour l’élection présidentielle française de 2027. L’Alternative pour l’Allemagne (AfD) est arrivée en deuxième position aux législatives l’année dernière.

La défense est un autre sujet sur lequel les responsables politiques de l’UE du centre gauche au centre droit espèrent riposter.

Le commissaire européen à la Défense estime qu’en additionnant les budgets de défense des Etats membres et les fonds européens, l’Union déboursera 2 400 milliards d’euros sur quatre ans, un chiffre faramineux par rapport aux investissements précédents. Ce boom de la défense pourrait, en théorie, compenser l’industrie automobile européenne en difficulté, qui représente près de 14 millions d’emplois, soit environ 6% de l’emploi européen.

La défense est un autre sujet sur lequel les responsables politiques de l’UE du centre gauche au centre droit espèrent riposter. | Hristo Rusev/Getty Images

Le sujet devrait être abordé lors du sommet, le Slovaque Robert Fico liant son soutien aux nouvelles sanctions contre la Russie à l’aide au secteur automobile, étant donné que la Slovaquie est le premier producteur mondial de voitures par habitant.

“La défense est essentielle pour empêcher une montée de l’extrême droite, car elle crée des emplois”, souligne un autre diplomate de l’UE.

La réglementation des réseaux sociaux constitue un autre front dans les efforts visant à endiguer la vague d’extrême droite. L’UE est en conflit avec Washington au sujet des règles applicables aux géants américains de la tech, tels que Meta et X — cette plateforme appartient à Elon Musk, qui l’a utilisée pour donner plus de visibilité aux partis d’extrême droite, à l’image de l’AfD en Allemagne lors des dernières élections. L’UE a reproché à TikTok d’avoir joué un rôle important dans la diffusion de messages d’extrême droite lors des élections en Roumanie fin 2024.

“Face aux changements géopolitiques […] il est crucial de faire progresser la transformation numérique de l’Europe, de renforcer sa souveraineté et de consolider son écosystème numérique ouvert”, peut-on lire dans la version provisoire de la déclaration des dirigeants européens.

Toutefois, les solutions concrètes restent difficiles à trouver. “Qu’est-ce que nous sommes censés faire ? Créer notre propre plateforme européenne de réseaux sociaux pour contrer cette influence néfaste ?” s’interroge un troisième diplomate.

Ambitions diluées

Les diplomates européens sentent déjà le sol se dérober sous leurs pieds.

Les ambitions écologiques ont, elles aussi, été édulcorées sous la pression de l’extrême droite. | Thierry Monasse/Getty Images

La semaine dernière, une discussion entre ambassadeurs de l’UE sur la “simplification” ― le mot à la mode dans l’UE qui signifie alléger les réglementations ― s’est muée en un plaidoyer plus général de certains gouvernements en faveur d’une déréglementation à l’américaine. Un ambassadeur est intervenu pour préciser que la déréglementation devait consister à s’attaquer aux lourdeurs administratives plutôt qu’à se débarrasser complètement des règles européennes, selon deux diplomates présents.

Les ambitions écologiques ont, elles aussi, été édulcorées sous la pression de l’extrême droite, les dirigeants devant discuter d’un retour en arrière sur les objectifs de réduction des émissions carbone de l’Union pour 2040.

L’un des exemples les plus flagrants de cette volonté des responsables politiques centristes d’aller sur le terrain de l’extrême droite est celui de l’immigration. L’idée autrefois taboue de traiter les demandes d’asile en dehors des frontières de l’UE — dans des centres fermés et “protégés” — est aujourd’hui régulièrement débattue, même des dirigeants socialistes comme la Danoise Mette Frederiksen y sont favorables. Cette idée fait écho aux appels du Premier ministre hongrois d’extrême droite Viktor Orbán et figure dans son plan Schengen 2.0 de 2016.

En fin de compte, certains de ces sujets risquent de passer à la trappe jeudi. L’ordre du jour est chargé et la conversation sera probablement dominée par des questions géopolitiques plus urgentes, telles que la manière de renforcer le soutien à l’Ukraine.

Puis, il y a les profondes divisions qui subsistent entre le Parti populaire européen, qui domine les principales institutions de l’UE, et l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates.

Mais c’est un début.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.

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