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BRUXELLES — Le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, s’envolait mardi pour Washington avec une valise pleine de cadeaux qui, espère-t-il, pourront acheter la paix avec le président des Etats-Unis Donald Trump et éviter une guerre commerciale qui dégénère.
Promettant un “paquet de coopération” à la nouvelle administration pour tenter d’éviter les droits de douane de Trump, Šefčovič devrait rencontrer mercredi le secrétaire au Commerce Howard Lutnick, le représentant au Commerce Jamieson Greer — tous deux devant encore être confirmés à leur poste — et Kevin Hassett, le principal conseiller économique du président américain.
Cette visite intervient à un moment périlleux pour l’Union européenne, après que Trump a déclaré qu’il rétablirait les droits de douane sur l’acier et l’aluminium le mois prochain, mettant ainsi fin à une trêve jusque-là en vigueur (qui était sur le point d’arriver à échéance). Il a également fait un pas vers l’imposition de droits de douane réciproques qui nuiraient aux exportateurs européens, en particulier à l’industrie automobile.
Alors que Bruxelles a passé les quatre dernières années à renforcer sa panoplie d’armes commerciales, il veut d’abord tenter de conclure un accord avec Trump. POLITICO détaille les carottes que Bruxelles pourrait offrir en vue d’un accord de paix.
Augmenter les importations de gaz
L’obsession de Donald Trump pour le déficit commercial de 198 milliards d’euros des Etats-Unis avec l’Union européenne est au cœur de ses menaces d’imposer des tarifs douaniers élevés qui pourraient coûter des milliards au Vieux Continent. Toutefois, en promettant au même moment de “drill, baby, drill” (“fore, bébé, fore”) pour produire plus de gaz, il a fait naître l’espoir que les pays européens puissent écarter la perspective d’une guerre commerciale en achetant plus de carburant d’outre-Atlantique — ce qui pourrait également aider l’UE à réduire ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL) russe.
“Pourquoi ne pas le remplacer par du GNL américain, qui est moins cher pour nous et fait baisser nos prix de l’énergie ?” a suggéré en novembre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
En pratique, cependant, des Etats de l’UE, comme l’Allemagne, se sont interrogés sur la quantité de GNL américain que l’Union peut acheter en plus des volumes existants. Au moins un pays de l’UE avance l’idée d’un programme de subventions visant à rendre les cargaisons de GNL américain plus abordables, au nom de la sécurité énergétique. Mais l’octroi d’une aide financière pour les énergies fossiles serait controversé.
Dans le même temps, certains industriels font pression pour que le paquet européen comprenne des engagements à ne pas punir les importateurs d’énergie américaine pour les émissions de méthane, étant donné que Trump s’apprête à réduire les normes environnementales dans son pays et que les géants de l’énergie pourraient se voir infliger de lourdes amendes par les pays européens s’ils profitent des changements de règles.
Rendre les voitures américaines moins chères
Les plaintes de Trump à l’encontre de l’UE portent essentiellement sur les voitures et la taxe à l’importation de 10% imposée par l’Union européenne. Les Etats-Unis, eux, appliquent des droits de douane de 2,5%, qui peuvent toutefois monter jusqu’à 25% pour les véhicules utilitaires légers.
Le président a promis d’instaurer des droits de douane réciproques pour s’aligner sur ceux des autres pays et de taxer les véhicules, tandis que ses conseillers considèrent la TVA en Europe comme un droit de douane de facto qui mérite des mesures de rétorsion de la part des Etats-Unis. Bien qu’il ne soit pas clair si les taxes spécifiques sur les voitures viendraient s’ajouter à celles existantes, toute nouvelle barrière commerciale représente un risque considérable pour le secteur automobile européen, en particulier pour les trois grands constructeurs allemands.
La réponse la plus évidente serait d’abaisser les droits de douane de l’Union européenne pour les aligner sur ceux des Etats-Unis, une approche que BMW et Bernd Lange, le président de la commission du Commerce international au Parlement européen, ont préconisée.
Pourtant, en vertu des règles du commerce mondial, toute réduction des droits de douane de l’UE devrait s’appliquer à l’ensemble de ses partenaires commerciaux. Ce serait une victoire pour Pékin, dont les constructeurs de véhicules électriques sont désespérément à la recherche de nouveaux marchés. A la suite de son enquête antisubventions, la Commission a imposé l’an dernier de nouveaux droits de douane sur les véhicules électriques fabriqués en Chine.
Parce qu’ils ont été adoptés dans le cadre d’une enquête antisubventions, ces droits resteront en place même si l’UE s’aligne sur les 2,5% des Etats-Unis, précise Sam Lowe, associé chez Flint Global.
Faire équipe contre la Chine
Les responsables bruxellois commencent à se rendre compte que Trump n’a peut-être pas une ligne aussi dure vis-à-vis de Pékin que celle qu’il semblait avoir pendant la campagne électorale.
Les droits de douane de 60% qu’il a promis à plusieurs reprises d’imposer sur les produits en provenance de Chine se sont rapidement transformés en 10% (alors qu’il a mis des taxes de 25% sur ses alliés de libre-échange, le Canada et le Mexique, avant de les suspendre pendant un mois). Le président américain a également reporté l’interdiction de l’application chinoise TikTok.
Les premières mesures softs de Trump à l’égard de Pékin suscitent de l’inquiétude au sein de l’UE, qui a déjà pris des mesures pour lutter contre l’accaparement des marchés par la Chine, estimant que cela permettrait à Bruxelles de mieux s’aligner sur Washington.
Šefčovič a déjà suggéré de renforcer l’accent mis par l’UE sur la sécurité économique, par exemple en supervisant les investissements étrangers dans les technologies clés, telles que l’intelligence artificielle, les semi-conducteurs ou la technologie quantique. Une mesure que Washington a déjà prise.
Dans une autre démarche qui ferait écho au premier mandat de Trump, Bruxelles souhaite faire équipe avec les Etats-Unis pour s’attaquer aux pratiques antimarchés, telles que l’octroi de subventions aux entreprises ou l’exclusion des entreprises occidentales des appels d’offres publics.
En 2023, Washington et Bruxelles ont tenté, sans succès, de créer un club des métaux “vert” qui imposerait des droits sur les importations d’acier et d’aluminium en provenance d’économies antimarchés, telles que la Chine. Si les deux parties parviennent à s’entendre sur le Global Arrangement on Sustainable Steel and Aluminum, cela pourrait mettre un terme à la lutte pour les droits de douane qui remonte au premier mandat de Trump.

Acheter des armes
Amener les pays européens à acheter davantage d’armes américaines aurait l’avantage supplémentaire de convaincre Trump que l’Union prend sa sécurité au sérieux, alors que son administration flirte avec l’idée de retirer les troupes d’Europe et a appelé à plusieurs reprises les pays de l’UE à augmenter leurs dépenses en matière de défense.
Cette approche a fait son chemin en Allemagne et en Italie et a été évoquée en novembre dernier par Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, qui a déclaré que les pays de l’UE pourraient, dans le cadre d’une approche “cohésive”, acheter des systèmes d’armement qu’ils ne peuvent pas fabriquer eux-mêmes.
Toutefois, cette idée se heurterait probablement à une résistance de la France, le président Emmanuel Macron étant le plus ardent défenseur de l’“autonomie stratégique” de l’UE et un fervent partisan des champions nationaux de la défense, tels que Dassault.
Entre-temps, Washington a promis, à la fin de la semaine dernière, d’accélérer les livraisons d’armes à l’Europe, répondant ainsi aux frustrations que ses alliés éprouvent depuis des années face à la lenteur du processus d’achat d’armes made in USA.
Et voici ce que l’UE n’offrira pas
Malgré les avertissements de Washington, l’UE n’a pas l’intention de s’écarter de la voie qu’elle s’est tracée en réglementant les grandes entreprises de la tech, dont la plupart sont américaines, et ne sera pas ouverte à des négociations sur sa législation sur le numérique, selon un député européen de haut rang.
L’application des trois principales règles de l’Union européenne régissant les géants américains, tels que X et Amazon — la loi sur l’IA (AI Act), la loi sur les services numériques (DSA) et la loi sur les marchés numériques (DMA) —, ne peut pas être utilisée pour apaiser Washington dans un conflit commercial.
Brando Benifei, le président de la délégation du Parlement européen pour les relations avec les Etats-Unis, a déclaré : “Nous ne pouvons pas accepter cette approche, car nous ne pensons pas que notre législation fasse partie d’une négociation.” C’est pourquoi l’UE ne demande pas de changements dans la politique américaine, a-t-il souligné dans une interview accordée à POLITICO.
Pieter Haeck et Caroline Hug ont contribué à cet article. Graphique de Giovanna Coi.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.