L’Europe hésite à dégainer son bazooka commercial contre Trump

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LUXEMBOURG — L’Union européenne négocie avec un bazooka commercial à la main, mais n’arrive pas à se mettre d’accord sur l’opportunité d’appuyer sur la gâchette.

Au-delà du message soigneusement formulé d’une réponse “proportionnelle” et “unie”, repris par tous les ministres du Commerce de l’UE lors de leur réunion à Luxembourg lundi, la question clé de savoir comment répondre à l’offensive commerciale du président américain Donald Trump menace de fissurer la fragile cohésion européenne.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui s’est exprimée à Bruxelles juste après la clôture de la réunion des ministres du Commerce, a clairement indiqué que l’UE souhaitait d’abord négocier. L’Union propose des droits de douane “zéro pour zéro” sur les produits industriels, a-t-elle énoncé, couvrant notamment les voitures, les médicaments, les produits chimiques, les plastiques et les machines.

C’est la carotte. Et c’est une carotte assez facile à agiter, car les droits de douane sur les produits manufacturés entre l’Union et les Etats-Unis sont traditionnellement bas.

Pour ce qui est des bâtons, l’UE veut donner l’impression de négocier en position de force (tout en espérant que les turbulences des marchés financiers déclenchées par les droits de douane de Trump saperont son esprit combatif). Mais les gouvernements nationaux sont divisés sur le bâton à utiliser.

L’instrument anticoercition (IAC), une option nucléaire qui n’a pas encore été déployée, permettrait à l’exécutif européen de frapper les secteurs des services américains, tels que la tech et la banque.

Les droits de douane de Trump, qui affecteraient 380 milliards d’euros d’exportations européennes, sont exactement le type d’intimidation économique que l’UE avait à l’esprit lorsqu’elle a conçu l’IAC — qui permet, en représailles, de taxer les importations ou de restreindre l’accès aux marchés publics, par exemple.

Mais ce n’est pas parce que les droits de douane “réciproques” de 20% sur tous les produits européens, décidés par le président américain, sont imminents (en plus des taxes de 25% sur l’acier, l’aluminium et les voitures déjà en vigueur) que l’UE et ses 27 Etats membres sont prêts à activer leur bazooka. Cela signifierait, selon un ministre, que l’Union est réellement engagée dans une guerre commerciale.

Les Européens considèrent que les arguments justifiant les droits de douane de Trump sont totalement fallacieux — notamment ceux affirmant que les taxes sur la valeur ajoutée, la réglementation européenne sur le numérique et les normes phytosanitaires devraient être considérées comme des barrières non tarifaires. La formule utilisée pour les calculer est tout aussi absurde : les droits de douane moyens de l’UE sur les produits industriels, par exemple, sont de 1,6%.

Selon un document interne vu par POLITICO, la Commission envisage d’imposer des droits de douane allant jusqu’à 25% sur un large éventail d’exportations en provenance des Etats-Unis en réponse aux taxes de Trump sur l’acier et l’aluminium.

Les gouvernements nationaux se prononceront sur ce plan mercredi. L’UE imposerait des droits de douane de 25% sur un large éventail d’exportations américaines, notamment le soja, le maïs doux, le riz, les amandes, le jus d’orange, les canneberges, le tabac, le fer, l’acier, l’aluminium, certains bateaux et véhicules, les textiles et certains vêtements, ainsi que divers types de produits de maquillage.

Le montant total des exportations américaines concernées s’élèverait à 22,1 milliards d’euros, si on se base sur les importations de l’UE en 2024, selon les chiffres d’Eurostat. Ce montant est inférieur à celui initialement prévu, les pays de l’UE ayant fait pression pour que certains produits, comme le bourbon du Kentucky, soient retirés de la liste initiale. C’était une victoire pour la France, l’Irlande, l’Italie et l’Espagne.

Trop c’est trop

Des pays comme la France, l’Allemagne et l’Espagne ont appelé l’Union européenne à ne négliger aucune option dans ses relations avec le président américain.

“Il faut également examiner de près [l’instrument anticoercition]”, a déclaré le ministre allemand de l’Economie sortant, Robert Habeck, en se rendant à la réunion de lundi. “Il s’agit de mesures qui vont bien au-delà de la politique douanière. Elles ont une large palette. Elles incluent les services numériques, mais disposent d’un large éventail d’instruments, bien plus que d’une simple taxe sur le numérique.”

“Il faut également examiner de près [l’instrument anticoercition]”, a déclaré le ministre allemand de l’Economie sortant, Robert Habeck. | Jean-Christophe Verhaegen/AFP via Getty Images

Son homologue espagnol, Carlos Cuerpo, a abondé dans le même sens.

“L’instrument anticoercition est là pour que nous l’utilisions si nous le jugeons nécessaire. Mais encore une fois, le message que l’UE devrait simplement prendre aujourd’hui est un message positif”, a plaidé Cuerpo lors d’un entretien avec POLITICO. “Nous devons explorer l’utilisation de tous les instruments qui sont à notre disposition. C’est certain. Nous ne devons rien exclure.”

Un diplomate européen au fait de la réunion relate à POLITICO que, lorsque Maroš Šefčovič, le commissaire européen au Commerce, a demandé quels outils Bruxelles devrait utiliser, seule une poignée de ministres de l’UE a appelé à mettre toutes les options sur la table — dont le bazooka commercial.

“Il voulait, bien sûr, tester l’unité des Etats membres et les instruments qui étaient sur la table. La plupart des Etats membres ont dit qu’ils étaient favorables à des contre-mesures si nous y étions contraints”, détaille le diplomate. Il a noté qu’environ 20% des pays ont demandé à l’exécutif de l’UE d’utiliser tous les outils dont il dispose, y compris l’instrument anticoercition.

Plus précisément, l’Irlande et l’Italie — dont les secteurs pharmaceutiques et viticoles sont dans l’œil du cyclone des droits de douane — se sont montrées plus prudentes face à l’escalade des tensions commerciales avec Trump.

Le ministre irlandais des Affaires étrangères et du Commerce, Simon Harris, s’est montré particulièrement prudent sur le fait de dégainer l’IAC ou de cibler les services américains.

“Je pense que si l’on s’engageait dans cette voie, ce serait une escalade extraordinaire à un moment où nous devons œuvrer pour une désescalade. C’est à bien des égards l’option nucléaire si l’on commence à parler de l’utilisation de l’instrument anticoercition et d’autres instruments similaires”, a estimé Harris, qui s’envole pour Washington mardi.

Le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani, est allé jusqu’à proposer un report de l’entrée en vigueur des contre-mesures de l’UE sur l’acier et l’aluminium — du 15 au 30 avril.

De manière plus générale, la Première ministre italienne Giorgia Meloni, qui fait partie des dirigeants européens les plus proches de Trump, montre des signes d’hésitation sur une série de questions — du commerce à la défense — pour lesquelles l’UE tente de présenter un front uni. Elle doit se rendre à Washington la semaine prochaine, a rapporté le Corriera della Sera.

Pas de retour possible

Lorsque vous mettez votre arme commerciale la plus puissante sur la table si tôt dans le processus de négociation, il est difficile de la retirer si les choses tournent vraiment au vinaigre.

La Commission européenne devrait décider dès cette semaine d’infliger ou non une amende à Apple et Meta pour avoir enfreint les règles de concurrence numérique de l’UE. Cette décision pourrait jeter de l’huile sur le feu des tensions commerciales entre Washington et Bruxelles.

“A ce stade, je n’entrerais pas dans les définitions précises ou les spéculations sur le type d’instrument que nous utiliserions ou sur la manière dont nous décririons le raisonnement pour l’utilisation de tel ou tel instrument”, a coupé court Šefčovič aux journalistes lors de la conférence de presse de clôture de lundi.

“Notre réponse est très graduelle, nous réagissons à l’acier et à l’aluminium […]. Elle s’étire dans le temps parce que nous voulons créer l’espace de négociation nécessaire.”

“Dans le même temps, jusqu’à maintenant, malgré nos efforts et notre ouverture, nous n’avons pas encore vu de véritable engagement, qui conduirait à une solution mutuellement acceptable”, a ajouté le chef du commerce européen.

Koen Verhelst, Laura Hülsemann et Ben Munster ont contribué à cet article.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.

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