ARTICLE AD BOX
BERLIN — Les menaces de droits de douane, mises à exécution ou suspendues, du président américain Donald Trump — qui pénaliseraient les 161 milliards d’euros d’exportations allemandes annuelles vers les Etats-Unis — auraient difficilement pu arriver à un pire moment pour la première économie d’Europe, qui est au bord d’une troisième année consécutive de récession.
Il n’est donc pas étonnant que l’accord de coalition conclu mercredi du gouvernement entrant du futur chancelier Friedrich Merz ait mis l’accent sur un redémarrage complet de l’économie.
Merz a déjà envoyé un message clair au continent : Berlin est prêt à se débarrasser de son conservatisme fiscal, à relâcher son fameux frein à l’endettement et à injecter des centaines de milliards d’euros dans ses infrastructures et sa défense, au moment où Trump fait planer le doute sur l’engagement des Etats-Unis en faveur de la sécurité de l’Europe.
L’accord de coalition entre, d’un côté, les chrétiens-démocrates de centre droit de Merz, et, de l’autre, les sociaux-démocrates de centre gauche, ressemble à un plan de guerre économique : baisses d’impôts, réduction des prix de l’énergie et lancement de fonds d’investissement publics-privés.
Au cœur de ce projet se trouve la promesse — ou le pari — que l’Allemagne peut retrouver son avantage concurrentiel, alors que les turbulences s’intensifient à l’échelle mondiale.
“Tout d’abord, nous renforcerons la compétitivité-prix de l’économie allemande”, a exposé Merz à Berlin.
Après une année noire qui a vu la production économique de l’Allemagne diminuer de 0,2%, même les modestes prévisions de croissance pour 2025 semblent fragiles, en particulier compte tenu du mur de droits de douane mondial de Trump.
Merz présente l’accord de coalition comme un manifeste procroissance.
Un “Fonds Allemagne” sera alimenté par 10 milliards d’euros de fonds publics, tandis qu’un ambitieux appel aux investisseurs privés vise à porter ce montant à 100 milliards d’euros pour soutenir les start-ups et les scale-ups. Le gouvernement promet également un “booster d’investissement”, qui consiste à diminuer l’impôt sur les sociétés pour encourager l’investissement.
“La future coalition réformera et investira pour rendre l’Allemagne […] plus forte économiquement. Et l’Europe peut également compter sur l’Allemagne”, a assuré Merz.
Les partis promettent d’abaisser les taxes sur l’électricité, de réduire les frais de réseau, d’abolir une taxe sur les prix du gaz et d’introduire un tarif d’électricité industrielle : tout cela au nom de la relance de la production manufacturière. Les heures supplémentaires volontaires seront défiscalisées.

L’accord de coalition mentionne également que l’industrie sidérurgique revêt une “importance stratégique essentielle” et soutient les technologies de captage et de stockage du carbone, tout en promettant des allègements fiscaux pour les véhicules électriques.
Si les annonces de réformes font les gros titres, de nombreuses mesures clés sont toutefois retardées ou conditionnées. La réduction progressive de l’impôt sur les sociétés, par exemple, de 15% à 10%, ne commencera pas avant 2028.
Tout est une question de financement
Le pacte entre les partis comporte une condition sine qua non : “toutes les mesures de l’accord de coalition sont soumises à un financement”.
Le hic est que ce financement est loin d’être garanti.
Le gouvernement prévoit de réduire les recettes publiques de 1 milliard d’euros cette année et de diminuer les coûts administratifs de 10% d’ici à 2029 — via notamment une baisse de 8% du nombre de fonctionnaires, à l’exclusion des forces de sécurité. Une revue générale des subventions et des programmes de soutien est également en cours.
Un virage à 180 degrés, politiquement sensible, se cache dans les notes de bas de page. La coalition rétablira la ristourne sur le gazole agricole, dont l’abolition avait provoqué des manifestations de masse des agriculteurs pendant l’hiver 2023-2024. Les taxes sur l’électricité baisseront de 5 centimes par kilowattheure, une concession attendue depuis longtemps dans un pays où les prix de l’énergie sont parmi les plus élevés de l’Union européenne.
La plus grande victoire idéologique des conservateurs pourrait être l’annonce de l’abrogation de la loi sur les chaînes d’approvisionnement, un texte emblématique des sociaux-démocrates adopté il y a tout juste deux ans pour inciter les entreprises à contrôler plus rigoureusement l’origine de leurs produits.
Optimisme prudent
Les analyses des économistes sont prudemment optimistes, mais tempérées par une dose de scepticisme.
Michael Hüther, directeur de l’Institut allemand de l’économie (IW), a qualifié la réforme des prix de l’électricité de “signal fort” pour l’industrie nationale face à l’incertitude mondiale.
La future réduction de l’impôt sur les sociétés “donne également de l’espoir”, a-t-il ajouté.
Il a toutefois critiqué ce qu’il a perçu comme un manque de clarté. “De nombreuses parties de l’accord de coalition sont vagues, mais les lignes de désaccords entre le SPD et la CDU/CSU sont très claires, par exemple en ce qui concerne l’impôt sur le revenu. Il aurait été préférable de faire preuve de plus de courage dans ce domaine.”
Marcel Fratzscher, président de l’Institut allemand de recherche économique (DIW), a été plus direct.
“Il y a un manque d’ambition”, a-t-il averti. Tout en louant certains aspects de l’accord de coalition, notamment les investissements dans les infrastructures et la réforme du frein à l’endettement pour la défense, il a déploré l’absence de réforme fiscale plus large et l’importance insuffisante accordée au rôle stratégique de l’Europe.
Plus acerbe encore, Fratzscher a émis des doutes quant à la réalisation effective d’une grande partie de l’accord. “Il y a un manque de stratégies de mise en œuvre claires”, a-t-il taclé.
En fin de compte, Merz mise son leadership sur l’espoir que les réductions d’impôts et la réforme de l’énergie permettront de redresser la situation économique. Mais, entre un budget fragile, des divisions internes au sein de la coalition et un monde des affaires sceptique, l’exécution sera primordiale.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.