ARTICLE AD BOX
Les responsables politiques socialistes des villes et des régions d’Espagne souhaitent que le Premier ministre Pedro Sánchez organise des élections nationales anticipées face à la multiplication des scandales de corruption. Même s’ils savent que leur parti est pratiquement assuré de perdre.
En public, la plupart des maires et des présidents régionaux du parti soutiennent Pedro Sánchez, mais un nombre croissant d’entre eux craignent en privé qu’il soit devenu un boulet et que les scandales de corruption des socialistes condamnent également les candidats aux niveaux municipal et régional.
Selon eux, si le Premier ministre persiste à vouloir terminer les deux années restantes de son mandat, les électeurs en colère puniront les socialistes à tous les niveaux. Les élections nationales, régionales et municipales sont actuellement toutes prévues mi-2027.
“Je ne vois pas comment il peut retourner la situation en deux ans”, confie un élu municipal socialiste, à qui l’anonymat a été accordé pour qu’il puisse s’exprimer franchement auprès de POLITICO. “Si nous devons perdre notre prise sur le gouvernement [national], autant le faire maintenant et utiliser le temps avant les élections locales et régionales pour montrer qu’il y a eu une rupture nette avec tout cela.”
Le Premier ministre est sous le feu des critiques depuis jeudi, lorsque l’unité anticorruption (UCO) de la garde civile, l’équivalent espagnol de la gendarmerie française, a indiqué disposer de preuves établissant que le troisième membre le plus haut placé du Parti socialiste (PSOE), Santos Cerdán, avait touché des pots-de-vin pour l’attribution de contrats de travaux publics.
Santos Cerdán a démissionné de la direction du parti la semaine dernière et a renoncé lundi à son siège au Parlement espagnol.
Pedro Sánchez a réagi aux informations de l’UCO la semaine dernière par une allocution télévisée dans laquelle il s’est excusé auprès des Espagnols et s’est engagé à prendre des mesures “décisives” pour lutter contre la corruption au sein de l’organisation politique qu’il supervise.
Lundi, le Premier ministre a purgé les cadres du parti et nommé une équipe de transition comprenant l’ancienne ministre de l’Environnement, Cristina Narbona, et le chef des questions de transparence au PSOE, Borja Cabezón, en tant que directeurs intérimaires jusqu’à ce qu’un congrès de direction se tienne le mois prochain. Il a également commandé un audit externe des finances des socialistes.
Mais le consensus est que les mesures annoncées par le Premier ministre pour assainir son parti sont insuffisantes pour résoudre la crise politique plus large, ou pour changer l’opinion des Espagnols qui associent maintenant les socialistes à la corruption. L’enquête sur les faits de corruption présumés de Santos Cerdán est liée à une autre en cours sur Jose Luís Abalos, son prédécesseur au poste de secrétaire général à l’organisation du parti. Les deux hommes ont été nommés personnellement à ce poste par Pedro Sánchez, qui les considérait comme des alliés proches.
Le responsable municipal socialiste, à qui l’anonymat a été accordé, compare l’efficacité des mesures prises par Pedro Sánchez pour résoudre la crise à “jeter un verre d’eau sur un feu brûlant […]. Personne ne pense que ces ajustements internes vont faire changer d’avis qui que ce soit ou faire croire aux électeurs que nous avons résolu le problème.”
Antonio Rodríguez Osuna, maire de la ville de Mérida, dans l’ouest du pays, l’un des rares élus à parler ouvertement de la question, a plaidé pour que Pedro Sánchez organise un congrès extraordinaire du parti afin de consulter les membres sur sa direction. Il a également affirmé que s’il était à la tête du parti, il ne se représenterait pas aux élections.
“Nous ne méritons pas cela”, a-t-il déploré, défendant le “travail acharné des milliers de maires, de conseillers, de parlementaires et d’honorables fonctionnaires”.

La radio Cadena SER a également fait état de vives inquiétudes parmi les socialistes, qui craignent de perdre le contrôle de villes, telles que León, Palencia ou Soria si Pedro Sánchez reste au pouvoir. La frustration des électeurs vis-à-vis du Premier ministre pourrait également saborder les projets de redressement de la région de Valence, dont le président, membre du Parti populaire (la formation de droite), Carlos Mazón, a perdu le soutien de la population en raison de la gestion bâclée par son gouvernement des inondations meurtrières de l’automne dernier.
Le journal El País a également noté la pression croissante exercée sur Pedro Sánchez pour qu’il convoque des élections anticipées, dans un article basé sur le témoignage de 20 personnalités socialistes de premier plan. “Le problème est que ça me paraît impossible de tenir deux ans dans cette situation”, a jugé un dirigeant régional.
C’est la fête de Sánchez
Pedro Sánchez est un politicien avisé, réputé pour sortir vainqueur des situations difficiles.
Après avoir été contraint de démissionner de la direction du parti il y a près de dix ans, il a entrepris une campagne de porte-à-porte pour se faire réélire au même poste. En 2018, il a orchestré la première censure adoptée du pays pour renverser le gouvernement de Mariano Rajoy et devenir Premier ministre. Et, malgré sa défaite aux élections nationales d’il y a deux ans, il a réussi à s’assurer le soutien des partis indépendantistes pour rester au pouvoir.
Mais il est à craindre que cette nouvelle crise ne soit trop difficile à surmonter, même pour Pedro Sánchez.
Les accusations contre Santos Cerdán — l’un des alliés de longue date en qui le Premier ministre avait le plus confiance —, selon lesquelles il aurait perçu des pots-de-vin sous son nez, paraissent avoir déstabilisé le leader socialiste. Pedro Sánchez a semblé être en état de choc lors de son discours de jeudi et n’est pas réapparu en public pendant le week-end, quittant sa résidence officielle de Madrid pour s’enfermer dans une propriété de l’Etat située à l’extérieur de Tolède.
Pablo Simón, politiste à l’université Carlos III de Madrid, observe que Pedro Sánchez et le PSOE sont submergés par une crise qui en est “à son tout premier stade” et qui ne peut que s’aggraver avec la publication de nouvelles preuves qui pourraient impliquer des membres de l’actuel gouvernement dans des affaires de corruption.

Face à la mort politique par attrition, poursuit Pablo Simón, il est compréhensible que de nombreux socialistes de second plan veuillent que le Premier ministre abandonne le pouvoir. Mais il est peu probable que ces appels aient un quelconque effet, car Pedro Sánchez domine le parti au niveau national et a placé des personnalités loyales au sommet de ses structures régionales.
En conférence de presse lundi, Pedro Sánchez a reconnu qu’il avait envisagé de démissionner, mais il a conclu que son “devoir de capitaine est de prendre la barre pour affronter la tempête”.
Le Premier ministre a “un intérêt personnel à vouloir terminer son mandat et n’a aucun intérêt à l’écourter, en particulier à cause de faits de corruption auxquels il n’est pas lié”, analyse Pablo Simón.
En outre, ajoute-t-il, Pedro Sánchez sait que, si des preuves l’impliquant devaient apparaître, il serait mieux placé pour les contester en tant que Premier ministre qu’en tant que chef de l’opposition.
“Le parti sait que cela pourrait mal se terminer et que cela pourrait ternir son image de marque pour la prochaine décennie”, poursuit le chercheur. “Mais ils n’ont pas la force de le renverser, même s’il est blessé, même s’il est mortellement blessé. Sánchez est le maître de son parti et, s’il veut rester au pouvoir, il le restera.”
Pablo Simón pointe également que, si l’opposition de droite exige la démission du Premier ministre ou la convocation d’élections anticipées, elle se réjouit en réalité de la volonté de Pedro Sánchez de rester au pouvoir.
“Le Parti populaire n’est pas pressé de le voir partir”, estime-t-il. “Ces scandales usent les socialistes, et plus cela dure, plus les partis qui soutiennent le gouvernement finissent par être entachés aux yeux des électeurs.”
Un point de vue confirmé par le Parti populaire lui-même.
“Un vote de censure serait une bouffée d’air frais pour le Premier ministre”, a déclaré Borja Sémper, porte-parole du Parti populaire.
“Il a choisi une mort lente et douloureuse”, a-t-il ajouté. “Une mort qui sera d’autant plus douloureuse à la fin.”
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.